dimanche 17 mars 2013

Remarques insignifiantes 1

Les roches coloriées qu'on met dans le fond des aquariums, j'ai toujours trouvé ça douteux.

Les futons, ça dort bien surtout quand on a beaucoup bu.

On dirait qu'il y a un prérequis de beauté esthétique pour intégrer le corps des pompiers: j'en vois pratiquement jamais de laids.

Je suis toujours mal à l'aise quand je sens que la conversation est devenue phatique: le nombre des clichés n'est après tout pas infini. Si on y rajoute le facteur de prédiction, bref  qu'on les devine avant même qu'ils ne soient dits, ça m'angoisse terriblement. Finalement, le sel de la conversation, c'est son imprévisibilité.

Les années 80 finissent jamais de revenir à la mode depuis 20 ans. Est-ce que c'est ça, "l'éternel retour"?

Je suis pas mal blasée de ce qu'on me parle de mon prénom.

Par contre, je ne me lasse pas des discussions sur les chats.

Les employés du Subway ont souvent les cheveux teints.

Le style vestimentaire des jeunes professionels qui réussisent est souvent très plate.

Je n'aime pas beaucoup la confiture, mais je m'en fais beaucoup donner.


samedi 9 mars 2013

La mangeuse


Qu'est-ce qu'elle est mignonne! Elle est minuscule, souriante, jolie comme tout. Affable et simple, par-dessus le marché. Qui pourrait la croire capable d'une telle prouesse? Prouesse n'est pas le bon mot. Rendu là, il faudrait plutôt parler de talent déviant, de phénomène de foire. Parce qu'elle est mince, en plus, ce qui semble paradoxal. Comment fait-elle? Elle sourit, elle dit qu'elle mange généralement peu. Oui, elle fait de l'exercice. Les hot-dog? Ça va, mais elle excelle surtout dans les petites bouchées. Elle peut se taper six cents huîtres en huit minutes, trois cents écrevisses en six de quoi faire frémir d'un frisson mou tout ce qui peuple les hauts-fonds de ce côté-ci de l'océan. Elle est fière de cet estomac extensible à l'infini. Pourtant à la voir, qui s'en douterait? Son ventre, miraculeux et plat, est en ce moment au repos.

Puis vient l'épreuve. Sur une estrade, elle est installée à une table recouverte d'une nappe au coloris primaire, sans merci, décorée de logos promotionnels. Ornant pour leur part l'estrade derrière elle se trouvent des chippendales dont la fonction, en plus d'offrir aux yeux ravis leur ostentatoire virilité, est de donner le décompte de chaque concurrente. Les juges, bedonnants, rougeauds, habillés de vagues polos, de casquettes beiges, de lunettes fumées hideuses, la passe officielle pendant tristement au cou, l'air infiniment ordinaire comme seul un juge peut l'avoir, complètent la troupe présente sur scène. Ou est-ce que ce sont les préposés? Ils se confondent aisément. Enfin, un maître de cérémonie qui porte le canotier haut sur la tête et la cravate assortie aux couleurs de l’évènement harangue la foule. Il a cette énergie spéciale à l'animateur dilettante, cette façon impitoyable d'aiguillonner les spectateurs qui rend agité, anxieux, heureux mais en même temps au bord des larmes. Un ou deux rêveurs, perdus dans la kermesse, en concevront même de graves malaises existentiels.

Je suppose qu'une cloche retentit, ou une trompe de sauveteur de plage, et qu'elle donne le signal du départ.

L'assistance crie. Les menues demoiselles se mettent à s'empiffrer. Le soleil chauffe et surchauffe les peau blanches des chalands, mais qu'importe, les passions sont excitées, on est sur la pointe des pieds, on veut voir, on veut s'exciter, on est fascinés. La nôtre, celle du centre, la championne, trempe son hot dog dans l'eau. Elle le pousse dans sa bouche. Ses lèvres sont distendues, ses joues sont dilatés. Ses yeux sont révulsés par l'effort, ou bien est-ce l'énorme pression appliquée sur sur son palais mou qui pousse les chairs contre les globes oculaires? On ne peut détacher ses yeux d'elle. À la fois atterré et excité, on se perd dans cette vision, qui suscite d'honteux fantasmes freudiens, lesquels n'attendaient que ça pour affleurer à la conscience.
Et toujours, à une cadence folle, elle en ajoute. C'est incompréhensible. Je redemande : comment fait-elle? Les mains, les petites mains portent la nourriture à sa bouche, elle a le cou penché sur sa tâche, comme un petit tamia, elles vont et viennent en alternance et enfouissent la matière. Pain mou et aqueux, déchets de viande aux arômes en plastique. Le compte augmente toujours.

Bien sûr, elle gagne la première place. Deux bras musclés et orange tiennent, au-dessus de sa tête, un carton qui en fait la preuve: 45. 45 hot dogs furent mangés. Ovations, délire, je pourrais vous en parler, mais j'ai très mal au cœur. L'animateur ne se peut plus. Victorieuse, elle se fait porter par les spectateurs, fous, fous de joie. Elle parle à la presse. Elle sourit à larges dents. Demain, on fera un peu de jogging. Après demain, on reprend le rythme normal. La semaine prochaine, on termine sa tournée aux États-unis. Le mois prochain, il faut reprendre le travail, et l'entraînement. Et toute la vie, on continuera comme ça.



vendredi 8 mars 2013

Je veux écrire un livre 1

Je veux écrire un livre.
Il ne racontera que les menteries les plus extraordinaires;
Il dira toute la vérité.

Ce sera un long roman épique, où les péripéties s'enchaîneront à une cadence endiablée;
Ce sera une petite oeuvre claire, nette, sobre, ordonnée selon une structure parfaite, mathématique.

Les personnages y foisonneront, ce sera le carnaval, la polyphonie, un joyeux tintamarre fou où sera inscrite toute l'humanité, un livre-fleuve;
Ce sera une longue parole cohérente, une voix, vaisseau d'une pensée, un regard systématique, la somme d'une vie et d'une tête,  un écrit nécessaire.

Le style se dépliera en milles volutes, en arabesques qui rappelleront les feuilles d'acanthe, les spires végétales, les mots précieux et les métaphores filées ornementeront la narration comme une rocaille dorée;
L'écriture sera presque nue, chaque lexie choisie, sous-pesée, agencée, équilibrée, solide; les phrases seront laconiques, dépouillée, pour que jaillisse l'essentiel, qui régnera en maître.

Je veux écrire un livre, qu'il soit amusant, drôle, parsemé de milles points d'éruditions, de milles trouvailles.
Je veux écrire un livre, qu'il soit comme une pierre précieuse ciselée, comme ordonné par le réseau de Bravais.

Je veux écrire un livre divertissant;
Je veux écrire un livre difficile.