Le texte de ma dernière chronique à Drapeau Noir. Y a des problèmes de fluidité (car cent fois sur le métier...), mais bon, y en a qui trouvent ça drôle. Fais-toi plaisir:
La gentrification
« Moi, là, moi, là, là, je ne suis plus capable. NON! Je ne suis plus capable! Et pourtant Dieu sait que j'ai tout donné pour ma communauté! Oh oui, j'ai fait tout ce que faire se peut. J'ai été constante et j'ai été là et j'ai donné l'exemple. Mais non, rendu à ce point-ci, ça suffit! C'est inacceptable. Je ne saurais tolérer davantage les vicissitudes abjectes et de ces gens indécrottables.
Après toutes les années que j'ai mises à aménager mon appartement, à aménager ma cour, à aménager ma ruelle, à aménager mes voisins, à aménager mon quartier, je jette le gant de kid et l'éponge de loofah certifié bio.
Tout ce lavandula hybrida grosso planté dans les saillies des trottoirs par mes soins! Cette livèche du terroir issue de semences ancestrales amoureusement semée dans les terrains vagues! Et à quoi bon, je vous le demande? Ces gens n'ont jamais eu la moindre gratitude pour tous mes soins et tous mes efforts! Bande d'ingrats! Ces déchets humains d'ostie de BS générationnels de sans-desseins ataviques s'en sont allés pisser dans mes plate-bandes et pas que métaphoriquement, oh que non, madame!
À 4 heures du matin bien soûls, hurlants et braillants, empestant le brassin médiocre tel qu'on le débite au Bar Lasalle, je les ai vus, de derrière mon rideau en cretonne directement importée de Normandie, épandre leurs mictions vineuses sur mes boutures chéries!
Et si ce n'était que de ça! Mais c'est que les offenses de toutes sortes pleuvent sans cesse sur nos pauvres épaules courbées de professionnels qui bossent dur!
À croire que le concept de propriété privé n'existe pas pour ces sauvages! Toutes les fois où j'ai dû alerter la police pour leur signaler la présence malfaisante de ces romanichels tout droit sortis de la Cour des Miracles sur mon terrain ou dans mon abri tempo ou sous mes fenêtres! Toutes les fois où leurs cris de hyènes abruties nous ont tiré du sommeil du juste, moi, mon mari, mes enfants.
Parce qu'il y a mes enfants aussi qui sont forcés de côtoyer jour après jour toutes ces torpitudes! Ah oui, y a mes enfants! Ils y pensent, à mes enfants, les dégénérés hurlant à la lune qui pourrissent la quiétude de nos nuits?
Et il faudrait que j'expose ma précieuse progéniture promise à un si brillant avenir, élevée consciencieusement dans le respect des arts, des sciences, des lois et de la culture, abreuvés au lait de chèvre éthiquement responsable, enduis de manières et de savoir-vivre, on me demanderait de les frotter à cette racaille puante qui dégueule son joual infect dans les cours des écoles, de les exposer aux seringues sales jetées avec le plus grossier manque de civisme en plein espace public, mon espace public auquel j'ai droit du droit le plus fondamental?
Il faudrait que je tolère ces femmes de mauvaise vie qui s'accouplent comme des chiennes à quelques mètres de leurs visages purs qui semblent taillés dans le marbre de Paros le plus blanc? Je devrais d'un sourire compatissant expliquer l'horreur perpétrée par ces animaux à ces êtres innocents et sans défenses? Non, mais pourquoi pas les faire marcher pieds nus dans des bouteilles de bières cassées et pleines de salive de sidéen, tant qu'à faire?
Et que dire du non-respect de nos espaces de stationnement! Les vignettes, ça a pas été inventé pour les animaux, mais à les voir aller, on se le demande!
Alors NON, je ne tolère plus, je ne compatis plus, je quitte le quartier!
Oui, vous avez bien entendu!
Je vous abandonne à votre saleté et c'est bien fait pour vous! C'est tout ce que vous méritez, de vous passer de moi et de ma famille! Vous allez voir comment ça va se passer la revitalisation d'Hochelaga, sans moi, mon mari, mon appartement, mes enfants, nos grosses jobs, notre culture, notre précieuse, précieuse implication!
Quand je pense que tout à fait bénévolement, je me promenais à des heures indues pour vaporiser d'huile de truffes noires de Sardaigne les beignes sordides des clients sordides du sordide Tim Hortons! Je m'y prenais en m’immisçant par-dessus leur épaule, vainquant mon dégoût bien naturel pour leurs effluves de crasse, profitant d'un moment de leur fuyante attention, pour rester anonyme comme seul sait l'être le vrai chrétien et pschitt! Un geste plein d'abnégation, vraiment.
On penserait que contre une telle mansuétude, un tel désintéressement, j'aurais au moins un merci?
Certes pas! Ces rustres ont eu le culot de m'insulter dans un dialecte que rendait incompréhensible leur manque de dents de junkies fumeux de roche détruits du mental!
D'autres se serait laissé décourager, mais non pas moi! Oh, que nenni!
N'écoutant que mon ardente conscience sociale, je me suis munie à mes frais de disques édifiants, comme Einstein on the Beach de Philip Glass et les Electronic Studies de Stockhausen et je les ai distribués à l'homme de la rue.
Eh bien croiriez-vous qu'on me les a jetés au visage, mes cadeaux! L'un des malotrus m'a même rétorqué fort grossièrement : « J'en veux pas de ton christ d'ostie de CD à marde! »
C'en était vraiment trop!
Si c'est ça la mixité sociale, eh bien NON MERCI!
Une vie de quartier, ça doit venir de l'effort de tous et trop de « citoyens » ici sont d'un égoïsme et d'un irrespect trop flagrant pour que nous voulions continuer à vivre parmi eux!
Adieu Hochelaga, j'aimais beaucoup tes loyers, mais y a toujours ben une limite! »
dimanche 6 septembre 2015
samedi 18 avril 2015
Exercice d'empathie no. 1
T'as soif. T'as soif d'être aimée et
d'être regardée et d'être au centre.
C'est une soif inextinguible et ce qui pourrait la désaltérer est intangible et élusif.
Je peux comprendre ça.
Alors tu prends une histoire, celle qui t'arrive en ce moment, disons. Genre on t'a fait quelque chose de bien désagréable. C'est vrai, je suis d'accord, ce qui se passe est très poche, mais j'ai vraiment pas envie d'en parler parce que ça ne me concerne vraiment pas. Alors voilà, tu prends cette histoire-là, tu la tournes en longue complainte souffrante et sublime où tu tiens le premier rôle, celui de la victime parfaite et éplorée. Tu te mets directement dans la mire des regards, tu les concentres sur toi. Tous les yeux braqués sur ta souffrance t'exaltent, ce sont comme de multiples alluvions qui coulent enfin dans la plaine aride qui est en toi.
Donc tu exécutes ton espèce de danse de la pluie et elle ne doit pas manquer de grâce, parce qu'elle captive et continue de captiver.
Cependant, il faut la soutenir, la danse, et c'est pas évident.
Qui ne se fatigue pas d'entendre sans fin la même histoire sans résolution?
Il faut donc passer à l'étape suivante, laquelle est fort délicate.
C'est-à-dire qu'il faut que les yeux restent braqués sur toi. Sinon, tu cesses d'exister. Tu retomberais dans cet endroit creux et vide qui est insupportable.
Pour ce faire, il faut créer une forme de récompense contre toute cette attention. C'est un échange après tout; on n'obtient jamais les regards contre rien pantoute.
Alors ce que tu fais, et le procédé est assez habile, c'est que tu crées une exclusivité dans cet échange.
Ton histoire commodément réécrite en tragédie est réservée à certains auditeurs choisis, lesquels le sont en fonction de leur adhésion inconditionnelle à ton discours. Je m'explique: tu choisis les auditeurs qui ne te contrediront pas, ceux qui sont absolument solidaires, qui ne te remettront surtout pas en question, qui te noient de cette bienfaisante et irrésistible sollicitude sur commande, ceux qui, finalement, sont crédules et aisément manipulables.
C'est un charme fort et fragile à la fois. Un rien suffirait à le faire vaciller; une voix un peu plus forte que la tienne et les regards se détournent. Cela te serait insupportable, n'est-ce pas?
Comme il ne faut absolument pas que cela survienne, il faut cimenter cette exclusivité.
Et c'est là que la médisance embarque.
C'est une médisance subtile, mais qui n'en reste pas moins abjecte. Tu instigues un genre de procès larvé contre ceux qui te dérangent : ça, c'est tous ceux qui soit commandent les regards, soit ne t'accordent pas le leur.
Moi, je sais faire partie de ceux qui te spolient des précieux regards que tu convoites pour ton usage exclusif parce que je parle fort, parce que j'essaie d'être drôle et qu'à ton grand courroux, ça marche quand même assez régulièrement.
Je vais te faire une confidence : moi aussi, j'ai un grand creux en moi. Une plaine aride. Une soif que rien ne saurait soulager. C'est parce que je veux la même chose que toi : être aimée et être regardée et être au centre.
Je suppose que la différence entre toi et moi, outre les moyens employés, est que tu ne supportes pas qu'on veuille la même chose que toi. Tu prends ça pour de la compétition, si j'ai bien compris.
Alors, voilà : if you can't join 'em, beat 'em, non? Je veux dire, tu dois l'admettre : t'es incapable de répondre directement, t'as pas de répartie et t'es pas très amusante. Le seul choix pour toi est de saboter ceux qui ne se soumettent pas à ton credo.
Je sais pas exactement comment tu t'y es pris pour le sabotage. J'ai cru comprendre que tu as utilisé une tactique à la George W. Bush: ils sont soit avec nous, soit contre nous. Je trouve ça extraordinaire que ça ait marché et je me dis que ça doit être parce que tes élus sont vraiment bien naïfs.
Ça me fait de la peine tout ça, parce qu'encore une fois, moi, tout ce que je veux, c'est ce que toi tu veux aussi: être aimée, regardée, être au centre. Avec de tels besoins, le pire qui pourrait m'arriver, c'est ce que tu as réussi à accomplir, soit me faire rejeter.
Et je sais, puisque je te comprends, que c'est aussi le pire qui pourrait t'arriver.
D'ailleurs à ce sujet-là, j'ai d'assez mauvaises nouvelles pour toi. En agissant comme tu le fais, ça va finir par t'arriver aussi.
Soyons réalistes: en ce moment, tu as ce que tu désires parce que l'équilibre est maintenu. Tu suscites la compassion laquelle te procure tant de plaisir que ceux qui te l'accordent se sentent utiles et bons. Il est doux dans l'existence de se sentir aussi important, aussi tes séides continuent-ils de te la prodiguer sans arrière-pensées. Ils ne savent pas que dans la compassion, c'est pas la compréhension que tu recherches réellement, mais l'attention.
Tout ce qu'ils savent, eux, c'est que tu souffres, qu'ils sont là pour toi et qu'ils sont donc des bonnes personnes si ce n'est pas des justes en odeur de sainteté.
De vrais chevaliers servants!
Sauf qu'éventuellement, ça finit par fatiguer, la compassion. Même le plus preux des chevaliers servants se tanne d'avoir toujours à faire montre de commisération envers d'éternelles litanies, les plus déchirantes soient-elles. Ça fait son temps dans une relation. Il y a un point où les gens veulent plus que de servir de grands déversoirs pleins d'abnégation et franchement, c'est bien normal. Eux aussi ont besoin d'être écoutés, tu sais. Le partage, ça doit pas aller dans un seul sens. Il faut dire que j'ai l'impression que t'es pas ben bonne là-dedans, le partage.
Ça va peut-être être long avant qu'ils réalisent qu'ils se font utiliser. Que leur relation avec toi est à sens unique.
Mais quand ils vont s'en rendre compte, ça risque d'être assez déplaisant pour toi.
Il faut que tu comprennes que t'es vraiment pas la première personne se comportant ainsi que je rencontre. Je peux t'affirmer avec certitude que ces games-là, ça finit toujours comme ça, par le rejet et l'exclusion.
C'est une soif inextinguible et ce qui pourrait la désaltérer est intangible et élusif.
Je peux comprendre ça.
Alors tu prends une histoire, celle qui t'arrive en ce moment, disons. Genre on t'a fait quelque chose de bien désagréable. C'est vrai, je suis d'accord, ce qui se passe est très poche, mais j'ai vraiment pas envie d'en parler parce que ça ne me concerne vraiment pas. Alors voilà, tu prends cette histoire-là, tu la tournes en longue complainte souffrante et sublime où tu tiens le premier rôle, celui de la victime parfaite et éplorée. Tu te mets directement dans la mire des regards, tu les concentres sur toi. Tous les yeux braqués sur ta souffrance t'exaltent, ce sont comme de multiples alluvions qui coulent enfin dans la plaine aride qui est en toi.
Donc tu exécutes ton espèce de danse de la pluie et elle ne doit pas manquer de grâce, parce qu'elle captive et continue de captiver.
Cependant, il faut la soutenir, la danse, et c'est pas évident.
Qui ne se fatigue pas d'entendre sans fin la même histoire sans résolution?
Il faut donc passer à l'étape suivante, laquelle est fort délicate.
C'est-à-dire qu'il faut que les yeux restent braqués sur toi. Sinon, tu cesses d'exister. Tu retomberais dans cet endroit creux et vide qui est insupportable.
Pour ce faire, il faut créer une forme de récompense contre toute cette attention. C'est un échange après tout; on n'obtient jamais les regards contre rien pantoute.
Alors ce que tu fais, et le procédé est assez habile, c'est que tu crées une exclusivité dans cet échange.
Ton histoire commodément réécrite en tragédie est réservée à certains auditeurs choisis, lesquels le sont en fonction de leur adhésion inconditionnelle à ton discours. Je m'explique: tu choisis les auditeurs qui ne te contrediront pas, ceux qui sont absolument solidaires, qui ne te remettront surtout pas en question, qui te noient de cette bienfaisante et irrésistible sollicitude sur commande, ceux qui, finalement, sont crédules et aisément manipulables.
C'est un charme fort et fragile à la fois. Un rien suffirait à le faire vaciller; une voix un peu plus forte que la tienne et les regards se détournent. Cela te serait insupportable, n'est-ce pas?
Comme il ne faut absolument pas que cela survienne, il faut cimenter cette exclusivité.
Et c'est là que la médisance embarque.
C'est une médisance subtile, mais qui n'en reste pas moins abjecte. Tu instigues un genre de procès larvé contre ceux qui te dérangent : ça, c'est tous ceux qui soit commandent les regards, soit ne t'accordent pas le leur.
Moi, je sais faire partie de ceux qui te spolient des précieux regards que tu convoites pour ton usage exclusif parce que je parle fort, parce que j'essaie d'être drôle et qu'à ton grand courroux, ça marche quand même assez régulièrement.
Je vais te faire une confidence : moi aussi, j'ai un grand creux en moi. Une plaine aride. Une soif que rien ne saurait soulager. C'est parce que je veux la même chose que toi : être aimée et être regardée et être au centre.
Je suppose que la différence entre toi et moi, outre les moyens employés, est que tu ne supportes pas qu'on veuille la même chose que toi. Tu prends ça pour de la compétition, si j'ai bien compris.
Alors, voilà : if you can't join 'em, beat 'em, non? Je veux dire, tu dois l'admettre : t'es incapable de répondre directement, t'as pas de répartie et t'es pas très amusante. Le seul choix pour toi est de saboter ceux qui ne se soumettent pas à ton credo.
Je sais pas exactement comment tu t'y es pris pour le sabotage. J'ai cru comprendre que tu as utilisé une tactique à la George W. Bush: ils sont soit avec nous, soit contre nous. Je trouve ça extraordinaire que ça ait marché et je me dis que ça doit être parce que tes élus sont vraiment bien naïfs.
Ça me fait de la peine tout ça, parce qu'encore une fois, moi, tout ce que je veux, c'est ce que toi tu veux aussi: être aimée, regardée, être au centre. Avec de tels besoins, le pire qui pourrait m'arriver, c'est ce que tu as réussi à accomplir, soit me faire rejeter.
Et je sais, puisque je te comprends, que c'est aussi le pire qui pourrait t'arriver.
D'ailleurs à ce sujet-là, j'ai d'assez mauvaises nouvelles pour toi. En agissant comme tu le fais, ça va finir par t'arriver aussi.
Soyons réalistes: en ce moment, tu as ce que tu désires parce que l'équilibre est maintenu. Tu suscites la compassion laquelle te procure tant de plaisir que ceux qui te l'accordent se sentent utiles et bons. Il est doux dans l'existence de se sentir aussi important, aussi tes séides continuent-ils de te la prodiguer sans arrière-pensées. Ils ne savent pas que dans la compassion, c'est pas la compréhension que tu recherches réellement, mais l'attention.
Tout ce qu'ils savent, eux, c'est que tu souffres, qu'ils sont là pour toi et qu'ils sont donc des bonnes personnes si ce n'est pas des justes en odeur de sainteté.
De vrais chevaliers servants!
Sauf qu'éventuellement, ça finit par fatiguer, la compassion. Même le plus preux des chevaliers servants se tanne d'avoir toujours à faire montre de commisération envers d'éternelles litanies, les plus déchirantes soient-elles. Ça fait son temps dans une relation. Il y a un point où les gens veulent plus que de servir de grands déversoirs pleins d'abnégation et franchement, c'est bien normal. Eux aussi ont besoin d'être écoutés, tu sais. Le partage, ça doit pas aller dans un seul sens. Il faut dire que j'ai l'impression que t'es pas ben bonne là-dedans, le partage.
Ça va peut-être être long avant qu'ils réalisent qu'ils se font utiliser. Que leur relation avec toi est à sens unique.
Mais quand ils vont s'en rendre compte, ça risque d'être assez déplaisant pour toi.
Il faut que tu comprennes que t'es vraiment pas la première personne se comportant ainsi que je rencontre. Je peux t'affirmer avec certitude que ces games-là, ça finit toujours comme ça, par le rejet et l'exclusion.
Je peux pas vraiment dire que je te le
souhaite. Si ça t'arrive et que tu ne comprends pas pourquoi, tu vas
juste répéter tes comportements malsains. Je sais que c'est pas la
première fois que tu fais ça en plus et que ce sera pas la première
fois que tu vas te retrouver seule.
Ce que je te souhaite vraiment, en fait, c'est que tu finisses par comprendre à quel point tout ça est pathétique et infantile. Je te souhaite une épiphanie. Je te souhaite de grandir. Je te souhaite d'apprendre à obtenir l'attention sans que ce soit au détriment d'autrui.
Et je sais que tu peux y parvenir puisque moi, j'y suis parvenu.
Ce que je te souhaite vraiment, en fait, c'est que tu finisses par comprendre à quel point tout ça est pathétique et infantile. Je te souhaite une épiphanie. Je te souhaite de grandir. Je te souhaite d'apprendre à obtenir l'attention sans que ce soit au détriment d'autrui.
Et je sais que tu peux y parvenir puisque moi, j'y suis parvenu.
mardi 15 avril 2014
Fragment de toi
***
Demain, demain, c'est la dernière once de ta présence tangible qui nous sera dévoilée. Demain, c'est la dernière action qui sourde entièrement de toi en ce monde, du moins à ma connaissance. Tu es partie depuis longtemps, pour certains depuis plus longtemps encore. Je me suis arrangé un turban fuschia avec la jupe d'une robe commandée sur internet qui était trop petite. C'est de l'organza, surpiqué d'un motif à carreaux. Dedans, du ruban rose, des plumes. Sur mon cou, des perles. Je ne crois pas à la perdurance après la mort, alors pour qui fais-je cela? C'est un hommage?
Nous nous regarderons te porter hommage.
***
La dernière fois que je t'ai vue, je ne le savais pas, que c'était la dernière, même si tous nous savions que la fin approchait. C'était le gros éléphant rose dans la pièce. Nous savions tous, nous nous taisions, nous jouions la vie parce qu'il fallait que tu puisses exister le plus intensément possible avant que, avant que. C'était l'hiver, au café Cléopâtre. Il y avait le lancement d'une revue cool, asymétrique, sur Josée Yvon. Tu étais toute en fourrure, une Valkyrie. J'étais comme une enfant enthousiaste et futile, et en moi je criais, parce que je ne sais pas, pour la mort, la mort, ça ne se peut pas. Pas toi. Plus grande que nous, je me souviens de tes yeux qui contenaient une sagesse, un secret auquel seuls ceux qui franchiront le pas ont accès. La codéine t'avait beaucoup changée. On se taisait là-dessus aussi, bien sûr. Au final, ça ne faisait pas de différence. Tu étais la reine, souveraine couronnée. Tu te réservais. Tu t'es mouchée, c'était royal.
***
Demain, demain, c'est la dernière once de ta présence tangible qui nous sera dévoilée. Demain, c'est la dernière action qui sourde entièrement de toi en ce monde, du moins à ma connaissance. Tu es partie depuis longtemps, pour certains depuis plus longtemps encore. Je me suis arrangé un turban fuschia avec la jupe d'une robe commandée sur internet qui était trop petite. C'est de l'organza, surpiqué d'un motif à carreaux. Dedans, du ruban rose, des plumes. Sur mon cou, des perles. Je ne crois pas à la perdurance après la mort, alors pour qui fais-je cela? C'est un hommage?
Nous nous regarderons te porter hommage.
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La dernière fois que je t'ai vue, je ne le savais pas, que c'était la dernière, même si tous nous savions que la fin approchait. C'était le gros éléphant rose dans la pièce. Nous savions tous, nous nous taisions, nous jouions la vie parce qu'il fallait que tu puisses exister le plus intensément possible avant que, avant que. C'était l'hiver, au café Cléopâtre. Il y avait le lancement d'une revue cool, asymétrique, sur Josée Yvon. Tu étais toute en fourrure, une Valkyrie. J'étais comme une enfant enthousiaste et futile, et en moi je criais, parce que je ne sais pas, pour la mort, la mort, ça ne se peut pas. Pas toi. Plus grande que nous, je me souviens de tes yeux qui contenaient une sagesse, un secret auquel seuls ceux qui franchiront le pas ont accès. La codéine t'avait beaucoup changée. On se taisait là-dessus aussi, bien sûr. Au final, ça ne faisait pas de différence. Tu étais la reine, souveraine couronnée. Tu te réservais. Tu t'es mouchée, c'était royal.
***
L'été, chez Bernier, qui hérita du manoir Deluxe. Assis sur des chaises dans la ruelle, nous devisons. Tu arrives. Je suis éblouie par ta sveltesse dans cette robe fuchsia, quelque chose d'il y a 30 ans, avec des épaulettes, un décolleté en cœur, qui épouse comme un carcan ta silhouette surréelle. J'aime les très belles filles, je m'aplatis devant elles, je veux être leur chien. Évidemment, je suis déjà ton chien. Tu t'installes. Ton corps à la posture saine, l'arrogance de ta beauté sur une chaise pliante posée sur l'asphalte.
Je me souviens de ton regard. Tu me considères, tu ne sais pas trop. Quel est ce bouffon? Ce bouffon est ton chien. Tu t'assis, je décide qu'il faudra assortir tes cheveux encore mouillés à ta robe. On me fournit en peigne et élastiques et brosse. Je m'exécute et te fais le plus gros chignon, le plus haut, celui qui montre la mince tige gracile de ton cou. Il fait beau, nous sommes bien. Je travaille lentement à ma soumission. Je sais comment devenir l'amie des reines. Une pâte malléable qui s'étale doucement, très doucement. Tu es partie vite, tu étais une fille occupée, des courtisans plus galonnés t'attendaient. J'ai entendu des choses, là-dessus. Tu donnais sans compter, chère belle. Si j'avais pu, il était planifié, depuis la première fois que nous nous étions vues, que je te donnerais tout.
***
On te fait encore parler, tu sais. Ça me met mal à l'aise. On ne devrait pas te donner les mots, les intentions qui ne sont pas les tiennes.
***
Étendue sur le divan, avec le prototype du turban fuchsia, la robe de la couleur de ton frère, les perles, le ruban, les plumes, sous une couverte de faux-fourrure blanche, la machine sur un coussin bourgogne, dans mon boudoir. Sur le mur, la sacoche la plus bling, la plus précieuse, toute de minuscules perles brodées et oxydées, sous la ternissure, un motif très mignon en quinconce, ce me semble, comment la nettoyer? rabat doré avec strass, elle a cent (100) ans, je la porterai aussi. Ce que je fais est illégitime. Pourtant, pourtant, il me semble bien qu'il faut le faire.
***
Je t'ai rencontrée dans la cour de la librairie du Port de Tête. Il y avait une lecture avec, entre autres, Patrick Poulin, Catherine Cormier-Larose, Jacob Wren, une anglaise qui lit un extrait de quelque chose qui m'a fascinée et que je n'ai jamais retrouvé, elle dit qu'elle a jeté tous ses vêtements, elle n'a gardé que sept (7) itérations de noir. Wow. Je veux faire ça. Je ne ferai jamais ça.
Tu avais un béret de paillettes argent de chez le Château. Je me disais que je ne porterais jamais ça, mais qu'à coup sûr, quelqu'un qui agençait un tel couvre-chef de la manière dont tu l'avais fait devait être intéressant. Avec Bernier, on s'épivardait, on exaspérait les chats de la ruelle. Le soleil! L'herbe, mon incursion impie parmi ces gens si follement cool. Cette fois-là, j'ai décidé que nous serions sœurs avec mes autres sœurs. Lentement, lentement, je te travaillerais, insensiblement, comme un chat, dans quatre (4) ans, nous serions les meilleures amies si tout allait bien. Si tout allait...
***
Je descends de la montagne où je me suis soûlée telle une truie l'après-midi durant. Je suis avec Flor. Nous cédons vachement à la tentation d'une dernière pinte. Inspirées, embrumées plutôt, nous remontons St-Denis vers le nord. Tu viens à ma rencontre. Tu reviens, crois-je comprendre, du tournage de l'épisode de TLMEP où tu annonças ton règne à la province. Je te saute au cou. Je te débite mes sottises. Ça fait longtemps. Tu es entourée, on me fixe. Catherine est là, elle me regarde. Je ne sais pas ce qu'elle pense. Elle a les yeux que tu avais quand tu me considérais silencieuse n'en pensant pas moins. Ça m'inquiète, mais je suis ce que je suis, je n'y peux rien.
Gracieusement, tu dévies ma trajectoire. Il est vrai que j'étais prête à te suivre, où tu vas, je peux venir, je viens, Vickie!
Je ne peux pas, mais il y a des gens que je connais là-bas.
C'est étrange. Tu m'as mise sur cette voie et ensuite, j'ai su que tu m'avais, ô légèrement, calomniée. Je t'en ai voulu. Plus maintenant. Pour quoi faire? Et puis, tu pouvais bien le penser, si tu voulais. Enfin, comme si j'étais une intéressée... Et puis, j'ai été malheureuse... étrangement, d'outre-tombe, tu m'as vengée. J'ai ri comme une folle.
***
Juste avant que tout bascule, on s'était dit trois (3) trucs et demi (½) sur Facebook. Tu disais : veux-tu venir avec moi magasiner des souliers de danseuse sur la Plaza? Oui, bien sûr. Oui! Quelle question. Tout le temps.
Et puis le silence.
***
Ensuite, dans le vide, sur Facebook, embrumée, je t'ai appelée. Une mère lion qui appelle ses petits dans la savane; l'image est fausse, ce n'était pas là notre rapport. Le bruit est vrai. C'est quelque chose de doux que ce rugissement. C'est le mouvement de la gorge et de la gueule de la lionne, surtout, qui est vrai. Elle ferme les yeux à demi, il y a une détresse, une nostalgie, un trouble en train de s'auto désagréger. La vie s'efface à mesure, j'oublie tout, chère lionne. Elle avance du cou en même temps qu'elle baisse le crâne. Une goulée d'air lui passe dans l’œsophage, gonfle la trachée, le palais, la mâchoire inférieure se rétracte, la tête avance. Le son est étouffé, mais il porte sur des kilomètres. Elle les a perdus. Je te ferai les ongles, si tu veux. Excuse-moi de t'importuner.
***
Maintenant, tu n'es plus. Je vis avec la tristesse de tes amis proches. Je me tais, je n'ai rien de pertinent à dire. Je ne sais que dire, sinon que nous étions sur le point, oui, ce point où on bascule vers l'amitié. C'est tout. Je t'ai à peine connue. On s'est vues, deux, quatre, six (2, 4, 6) fois. On aimait les fringues, right.
J'ai pleuré parce que je trouvais que c'était injuste, je ne pleure pas beaucoup pour les autres, je suis très égoïste. Beaucoup de gens te parlent encore.
J'ai hésité à écrire ceci.
Je n'ai aucun droit.
***
Demain, tu seras encore là. Tu es morte, tu perdures. J'avais tort : tu perdures. On parlera de toi et j'espère qu'on ne te fera pas parler. Pas trop. Juste ceux qui devraient. Avec décence.
Je vais me sentir petite dans mes culottes coincées dans les plis. Je ne serai pas la seule à être strappée de la raie.
Le règne de la reine ne mourra jamais.
vendredi 8 novembre 2013
Le Clown
Le rapport à l'autre 1
Il y a un auteur japonnais que ma meilleure amie, Alexie Morin, m'a fait découvrir. Il s'appelle Osamu Dazaï et il parle de choses qui sont d'une pertinence particulière en ce qui me concerne, moi et mon rapport à l'autre. Alexie, avec sa pénétration habituelle, l'a bien saisi et c'est la raison pour laquelle elle me l'a si chaudement recommandé.
La Déchéance d'un homme relate la découverte de photos et du journal «trouvé» d'un homme (prémisse classique visant à sceller l'authenticité de ce qui est soumis au lecteur) vivant une double vie.
Il se met à mener très tôt cette double vie car très tôt aussi, le commerce avec sa famille, bref l'autre, lui est intolérable. Il se sent, dans le regard de ses proches, mis sur la sellette, transpercé, sommé de leur livrer une performance, une preuve de son être qui confirme ou infirme sa légitimité, son droit à l'existence. Ainsi traqué, il en vient rapidement à se dérober dans une parade presque parfaite, celle du bouffon. Lorsque par ses singeries et cabotinages, il extrait du traqueur une risée, il se croit sauvé. Son intégrité fuyante, son identité inviolable mais indéfendable sont saufs, préservés. Le rire a détourné l'attention, étanché la curiosité de l'autre, satisfait les attentes muettes mais insoutenables de l'interlocuteur. Pour l'instant, du moins; car on ne devient pas clown impunément.
À mesure que l'on bouffonne, un glissement se fait d'entre la façade et le cœur. Ce qui n'est qu'un masque de carnaval se met à être animé d'une substance propre et entière, à évoluer librement devant les congénères. Chauffé par l'attente muette de ces yeux traqueurs qui, une fois abreuvée, en redemandent et en redemandent, ce masque acquiert une autonomie, une complétude si parfaites qu'il finit par tenir lieu d'identité et de raison sociale. Le secret de l'être devient tellement bien protégé par cette parade de tous les instants qu'il devient victime de son propre stratagème. On fait rire, on fait rire et finalement, on ne devient plus que celui qui fait rire. Oui, c'est une fonction sociale entièrement satisfaisante pour tous les chalands. La vérité, c'est que la pauvre petite chose que tu es, qui peut bien s'en soucier? C'est d'une insignifiance patente. Tu fais bien ce que tu veux. Sois, ne sois pas, sois moins, sois plus, mais qu'est-ce qu'on s'en fout, en fait. Fais-nous rire! T'es si drôle. T'es folle. Fais-nous rire, de vous exclamer!
Car avec la réussite du but premier du bouffon, soit celle de rendre la vie avec l'autre tolérable, vient un constat assez troublant: cette traque tant redoutée n'est finalement pas une flèche d'airain susceptible de mettre à nu les choses étiolées et impropres que l'on abrite, ce n'est que la vague curiosité d'un animal devant une autre bête, une tentative de contact qui trouble à peine la vaste indifférence égoïste qu'entretient la grande majorité de l'humanité pour son prochain. Ce que ton prochain, devant toi, te dit dans une langue que tu ne savais pas comprendre, c'est de le distraire, pas de te confesser. T'es drôle, te confesser! T'aime ça, toi, peut-être, quand les gens se confessent à toi? Ils en ont pourtant la propension. Quel mystère, enfin. On se cache du mieux qu'on peut et l'autre que tu vois-là, celui dont tu te dérobes du mieux que tu peux, se livre à toi pieds et poings liés.
La seule explication possible est que les gens sont surtout intéressés par eux-même. Non, c'est vrai? Mais si, je te dis. Ça fait des années que je me préserve comme une proie qui fait le mort (dans une pose comique, bien sûr), j'ai eu le loisir de les voir à l’œuvre, les gens; et ben finalement, tu veux que je te dise? les gens, ben, en gros, ils bandent surtout ben fort sur eux-mêmes. Et voilà, bravo, t'as tout compris. Yo, t'es pas mal bonne. Même si ça t'as pris, genre, 10 ans à vraiment en être vraiment, vraiment certaine. Oh well. On peut pas tous être précoces, hein? Dans tous les cas, maintenant, tu peux souffler un peu. Nobody is out to get you.
Ah! On respire...
C'est vrai que c'est assez soulageant, comme constat. Le problème, c'est qu'une fois que la chose est appréhendée et assimilée, il est peut-être trop tard aux yeux des autres. Tu es clown; tu le resteras.
Pour revenir à Dazaï (nous glissâmes un peu), évidement qu'un tel livre allait me parler. J'ai suivi exactement la même trajectoire (et nous reglissons pour de bon).
Maintenant, je suis le clown. Je suis bien drôle, va. J'ai tout un répertoire de conneries, de cabotinage, de personnages ad hoc, de mots d'esprits, de références graveleuses prêts à l'emploi. Je réagis vite. Je fais mouche. Je vois luire dans les yeux la demande. «Nous feras-tu rire? Quand?» Ce n'est pas très grave si mes farces sont faciles, mes blagues douteuses, mes mots d'esprits usés à la corde. L'interlocuteur, vous en fait, êtes satisfaits. Ça a beaucoup trop bien marché, mon truc...
Mais il ne faudrait quand même pas croire que je ne suis qu'un clown. Je sais que je ne laisse pas passer grand chose d'autre dans ma prestation sociale, mais ce serait quand même une grossière erreur. Car le fait est: sorry people, je suis autre. Ah! C'est peut-être la meilleure de mes farces, celle-là.
Voilà que je vous ai dit en substance quelles étaient les raisons de ma bouffonnerie. Et vous, quelles sont vos raisons de me croire bouffon pour de bon? Ça serait bien intéressant à savoir, ça. Vraiment, tout ce que vous percevez, c'est ce qu'on vous met le plus en évidence sous le nez? Ainsi, supposons qu'un croquant vous balance son identité gonflée à bloc au mythe de soi, vous aurez tendance à le croire? Mais c'est magnifique, tant de confiance! Je vous envie... ou peut-être pas, en fait.
À tant fait rebondir des images dans les regards, on finit par être bien au courant que ce que rencontre l’œil souvent est trompeur.
Il y a un auteur japonnais que ma meilleure amie, Alexie Morin, m'a fait découvrir. Il s'appelle Osamu Dazaï et il parle de choses qui sont d'une pertinence particulière en ce qui me concerne, moi et mon rapport à l'autre. Alexie, avec sa pénétration habituelle, l'a bien saisi et c'est la raison pour laquelle elle me l'a si chaudement recommandé.
La Déchéance d'un homme relate la découverte de photos et du journal «trouvé» d'un homme (prémisse classique visant à sceller l'authenticité de ce qui est soumis au lecteur) vivant une double vie.
Il se met à mener très tôt cette double vie car très tôt aussi, le commerce avec sa famille, bref l'autre, lui est intolérable. Il se sent, dans le regard de ses proches, mis sur la sellette, transpercé, sommé de leur livrer une performance, une preuve de son être qui confirme ou infirme sa légitimité, son droit à l'existence. Ainsi traqué, il en vient rapidement à se dérober dans une parade presque parfaite, celle du bouffon. Lorsque par ses singeries et cabotinages, il extrait du traqueur une risée, il se croit sauvé. Son intégrité fuyante, son identité inviolable mais indéfendable sont saufs, préservés. Le rire a détourné l'attention, étanché la curiosité de l'autre, satisfait les attentes muettes mais insoutenables de l'interlocuteur. Pour l'instant, du moins; car on ne devient pas clown impunément.
À mesure que l'on bouffonne, un glissement se fait d'entre la façade et le cœur. Ce qui n'est qu'un masque de carnaval se met à être animé d'une substance propre et entière, à évoluer librement devant les congénères. Chauffé par l'attente muette de ces yeux traqueurs qui, une fois abreuvée, en redemandent et en redemandent, ce masque acquiert une autonomie, une complétude si parfaites qu'il finit par tenir lieu d'identité et de raison sociale. Le secret de l'être devient tellement bien protégé par cette parade de tous les instants qu'il devient victime de son propre stratagème. On fait rire, on fait rire et finalement, on ne devient plus que celui qui fait rire. Oui, c'est une fonction sociale entièrement satisfaisante pour tous les chalands. La vérité, c'est que la pauvre petite chose que tu es, qui peut bien s'en soucier? C'est d'une insignifiance patente. Tu fais bien ce que tu veux. Sois, ne sois pas, sois moins, sois plus, mais qu'est-ce qu'on s'en fout, en fait. Fais-nous rire! T'es si drôle. T'es folle. Fais-nous rire, de vous exclamer!
Car avec la réussite du but premier du bouffon, soit celle de rendre la vie avec l'autre tolérable, vient un constat assez troublant: cette traque tant redoutée n'est finalement pas une flèche d'airain susceptible de mettre à nu les choses étiolées et impropres que l'on abrite, ce n'est que la vague curiosité d'un animal devant une autre bête, une tentative de contact qui trouble à peine la vaste indifférence égoïste qu'entretient la grande majorité de l'humanité pour son prochain. Ce que ton prochain, devant toi, te dit dans une langue que tu ne savais pas comprendre, c'est de le distraire, pas de te confesser. T'es drôle, te confesser! T'aime ça, toi, peut-être, quand les gens se confessent à toi? Ils en ont pourtant la propension. Quel mystère, enfin. On se cache du mieux qu'on peut et l'autre que tu vois-là, celui dont tu te dérobes du mieux que tu peux, se livre à toi pieds et poings liés.
La seule explication possible est que les gens sont surtout intéressés par eux-même. Non, c'est vrai? Mais si, je te dis. Ça fait des années que je me préserve comme une proie qui fait le mort (dans une pose comique, bien sûr), j'ai eu le loisir de les voir à l’œuvre, les gens; et ben finalement, tu veux que je te dise? les gens, ben, en gros, ils bandent surtout ben fort sur eux-mêmes. Et voilà, bravo, t'as tout compris. Yo, t'es pas mal bonne. Même si ça t'as pris, genre, 10 ans à vraiment en être vraiment, vraiment certaine. Oh well. On peut pas tous être précoces, hein? Dans tous les cas, maintenant, tu peux souffler un peu. Nobody is out to get you.
Ah! On respire...
C'est vrai que c'est assez soulageant, comme constat. Le problème, c'est qu'une fois que la chose est appréhendée et assimilée, il est peut-être trop tard aux yeux des autres. Tu es clown; tu le resteras.
Pour revenir à Dazaï (nous glissâmes un peu), évidement qu'un tel livre allait me parler. J'ai suivi exactement la même trajectoire (et nous reglissons pour de bon).
Maintenant, je suis le clown. Je suis bien drôle, va. J'ai tout un répertoire de conneries, de cabotinage, de personnages ad hoc, de mots d'esprits, de références graveleuses prêts à l'emploi. Je réagis vite. Je fais mouche. Je vois luire dans les yeux la demande. «Nous feras-tu rire? Quand?» Ce n'est pas très grave si mes farces sont faciles, mes blagues douteuses, mes mots d'esprits usés à la corde. L'interlocuteur, vous en fait, êtes satisfaits. Ça a beaucoup trop bien marché, mon truc...
Mais il ne faudrait quand même pas croire que je ne suis qu'un clown. Je sais que je ne laisse pas passer grand chose d'autre dans ma prestation sociale, mais ce serait quand même une grossière erreur. Car le fait est: sorry people, je suis autre. Ah! C'est peut-être la meilleure de mes farces, celle-là.
Voilà que je vous ai dit en substance quelles étaient les raisons de ma bouffonnerie. Et vous, quelles sont vos raisons de me croire bouffon pour de bon? Ça serait bien intéressant à savoir, ça. Vraiment, tout ce que vous percevez, c'est ce qu'on vous met le plus en évidence sous le nez? Ainsi, supposons qu'un croquant vous balance son identité gonflée à bloc au mythe de soi, vous aurez tendance à le croire? Mais c'est magnifique, tant de confiance! Je vous envie... ou peut-être pas, en fait.
À tant fait rebondir des images dans les regards, on finit par être bien au courant que ce que rencontre l’œil souvent est trompeur.
jeudi 24 octobre 2013
Poulâh
cette fin de semaine
m'a m'acheter un poulâh
m'a rôtir le poulâh
m'a faire un bouillon ensuite avec la carcasse du poulâh
ça va d'être
tute une fin de semaine.
lundi 14 octobre 2013
Esquisse blues
Elle s'avance dans la nuit sèche des contrées désertiques. Sa botte fait crisser le gravier sous elle. On entend le hululement d'une chouette, le froissement d'un buisson d'amarante. Non loin, les éclats d'un banjo, la mélopée d'un blues à la voix d'airain, de cristal, de bois de grève léché et reléché par les marées. Ses jambes nues et fortes brillent à la lune. Elle porte un vieux jeans élimé et fort raccourci, les bottes que nous mentionnions, un vieux chapeau à la visière mainte fois tordue en place, une souple couverture de laine en guise de manteau. Une paire de gant de cuir marque la cadence de sa marche. L'incandescence d'un mégot de cigarette décrit une parabole hachée, seule couleur chaude dans tous ces bleus et ces bruns. Elle a, bien sûr, une guitare au dos, quelque chose à accorder.
Ce sont des contrées que l'on traverse, nul port d'attache ici. Elle l'a laissée dans sa chambre, languissante, tissant la tapisserie de son attente. Des paysages de sable, de maigres coyotes solitaires, de lézards qui ont sûrement compris quelque chose à fixer ainsi le vaste horizon. Le goût du whisky se rappelle sur ses lèvres sèches.
Elle est seule, elle a tout son silence, une arme, du moonshine de contrebande dans une flasque tiédie au contact de la chair dans la tige de sa botte droite.
Elle peut faire un feu de camp ou rejoindre les musiciens.
Son cuir sent. Comme il se doit.
Elle se rappelle la douceur de cette oreille d'âne, les yeux émouvants du baudet. Oh elle est loin, la ferme familiale, les poules dodues qui piaillent, la mère et son tablier rosâtre, le père et son chiendent à la gueule, les grandes bourrasques de poussière. Les galettes chaudes de maïs ou de sarrasin selon la saison, cuites à même la fonte du poêle. Ragoût d'écureuil, d'opossum, de venaison prise non loin.
Sur ses lèvres sèches, le goût du whisky. Quelque chose dans la gamelle serait un bienfait.
À suivre?
Ce sont des contrées que l'on traverse, nul port d'attache ici. Elle l'a laissée dans sa chambre, languissante, tissant la tapisserie de son attente. Des paysages de sable, de maigres coyotes solitaires, de lézards qui ont sûrement compris quelque chose à fixer ainsi le vaste horizon. Le goût du whisky se rappelle sur ses lèvres sèches.
Elle est seule, elle a tout son silence, une arme, du moonshine de contrebande dans une flasque tiédie au contact de la chair dans la tige de sa botte droite.
Elle peut faire un feu de camp ou rejoindre les musiciens.
Son cuir sent. Comme il se doit.
Elle se rappelle la douceur de cette oreille d'âne, les yeux émouvants du baudet. Oh elle est loin, la ferme familiale, les poules dodues qui piaillent, la mère et son tablier rosâtre, le père et son chiendent à la gueule, les grandes bourrasques de poussière. Les galettes chaudes de maïs ou de sarrasin selon la saison, cuites à même la fonte du poêle. Ragoût d'écureuil, d'opossum, de venaison prise non loin.
Sur ses lèvres sèches, le goût du whisky. Quelque chose dans la gamelle serait un bienfait.
À suivre?
vendredi 11 octobre 2013
Laitue frisée 1
J'ai de l'empathie pour la laitue frisée. On la méconnais, je trouve. J'irais même jusqu'à dire qu'on la méprise un peu. Souvente fois, on la vois agrémenter des mets pour sa seule fonction esthétique dans leur représentation sur les menus rétroéclairés des fast-foods et autres bouibouis sans que jamais, jamais, on ne la retrouve ensuite servie dans lesdits plats. Voilà. On se sert d'elle pour ses connotations de fraîcheur, de santé, de vert et puis une fois le moment du déploiement arrivé, on la laisse pour compte.
Elle a des qualités, la laitue frisée, outre sa plus-value de présentation. En effet, elle est une bonne source de minéraux, de fibres, d'eau et de vitamines. Des plus méchants la disent insipide, moi je la trouve légère. Elle est croquante aussi, ce que les croquants reconnaissent.
You so funny, laitue frisée. Tellement funny que tu ornes des fausses boules qui manifestent à grand coup de bodés et d'opération promotionnelle pour le PETA.
Mais on t'oublie vite.Je comprends ça. C'est notre croix.
Y a des gens qui se servent de toi comme pita super vegan. Les coréens t'emplissent de bonnes choses cuites à la pierrade et de kimchi pour faire délicieusement passer tout le graillon. C'est un bon début. Couvre de ton corps et de ta fraîcheur des éléments plus savoureux.
En salade, tu es parfaite, rien à redire.
Et si on y pense, en garniture aussi, dans des rouleaux de printemps. Faudrait quand même pas oublier de te pimper un peu, avec de la menthe, de la lime et du nuoc-nam, par exemple.
T'es un peu difficile à apprêter autrement que crue, il faut le reconnaître.Mais je sais qu'il existe des potages faits de toi. Ça a même un nom : le potage Choisy. CHOISIS d'être plus, laitue frisée, même si on te préfère la Romaine ou la Bostonnaise.Qu'est-ce qu'on peut faire pour que tu jouisses un peu de la reconnaissance à laquelle tu es en droit d'aspirer?
Mais moi, je dis qu'on peut trouver des façons de te mettre en valeur pour toi-même.
Par contre, faut que je te dise, laitue frisée, si tu veux qu'on se rendent compte que tu existes un jour, you got to get cracking et autrement que sous la dent, le temps d'une bouchée blasée. Hein?
T'es capable, laitue frisée.
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