dimanche 21 octobre 2012

Pensée sobre, 2.

L'amour, c'est épuisant.

(mis à jour pour plus de lisibilité.

Je n'ai jamais su bien gérer mes émotions. Très jeune, quand je les exprimais, j'avais l'impression soit qu'pn m'ignorait, soit qu'on se moquait de moi. Ne sentant pas que ce que j'exprimais était considéré, ni même reçu, j'amplifiais le moindre de mes ressentis, transformant de légères contrariétés en crises totales mais cela ne changeait rien au problème.

Quelques années plus tard, j'ai développé la stratégie inverse: tout retenir en dedans et ne rien laisser paraître. Je me rappelle d'un après-midi où je ressentais une immense colère, laquelle était encore aggravée par le désespoir profond de me savoir totalement impuissante face aux circonstances qui la provoquaient. Je ne me souviens pas de l'objet de ma colère. Juste qu'elle ne comptait pour rien, qu'elle ne changerait rien à la situation.
 Assise par terre, mon lit à gauche et le mur à droite, je me suis dit, par dépit, que je pleurerais sans faire de bruit, sans sanglots, sans halètements, sans crispations du visage. Laisser les larmes tomber sur un visage rendu immobile comme la pierre lisse gisants de marbre. L'oeil grand, ne clignant presque pas. La bouche droite. La joue imperturbable. Garder la mainmise sur mon visage. Je ne me souviens plus exactement de mon raisonnement, mais je me disais, à ce moment-là, que ce serait une bonne riposte à ce qu'on venait de me faire. Tiens, ça leur apprendra, je pleurerai en silence. Peut-être ai-je fait un déplacement d'objet, en me disant que puisqu'on ne me laissait de contrôle sur rien, je serais au moins maîtresse des manifestations de mes émotions.
Toujours est-il que quelques heures plus tard, ma mère était venue voir ce que je faisais si tranquillement toute seule dans ma chambre. En me voyant pleurer, elle me demanda enfin ce que j'avais, avec pitié, ce que je désespérais d'obtenir depuis le début. Je me rappelle de l'avoir regardée d'un oeil noir, avec la secrète satisfaction de constater que mon nouvel outil fonctionnait.

Malgré ce nouvel outil, je réussissais de moins en moins à me faire comprendre des gens qui m'entouraient. N'étant encore qu'une enfant et ayant de toute façon une nature exubérante, je ne pouvais absolument tout contenir, mais j'essayais de ne plus jamais me laisser paraître vulnérable. J'étais socialement très maladroite, pour des raisons que je vous raconterai peut-être un jour, et cette maladresse me rendait d'autant plus anxieuse. Par exemple, je ne savais pas comment dire à mes camarades que je voulais être leur amie. Je ne savais pas comment m'intégrer à leurs jeux.
C'est très frustrant, d'être mise à part. Et plus j'étais rejetée, plus je devenais en colère. Mais à la maison, mes colères ne m'obtenaient jamais qu'on m'écoute. En fait, comme enfant, je ne me sentais jamais écoutée, du moins plus à partir d'un certain âge.  Alors j'essayais de m'adapter. De savoir qu'est-ce qui rend une personne intéressante, acceptable aux yeux d'une autre. Est-ce que c'était d'être en contrôle? De tout savoir?    Est-ce que ça donnait de la puissance?
J'essayai donc, comme durant le triste après-midi, d'avoir l'air d'être en puissance. Fake it 'til you make it. Cependant, mal outillée que j'étais, mes tentatives à cet effet ne réussissaient qu'à me rendre agressive envers mes camarades et leur donner l'impression d'avoir affaire à une bête traquée, qui ne trouve pas le comportement adéquat pour la situation. Évidement, avec le recul, je me rends compte que j'étais constament sur la défensive, toujours prête à parer l'hostilité, jamais capable de bien interpréter les signaux qu'on m'envoyait. Pas très engageant.

J'étais une enfant qu'on pourrait qualifier de spontanée, mais ce serait un euphémisme. J'avais des réactions brusques, très soudaines. J'explosais en gaieté, puis rageait, hargneuse, ou pleurais subitement. Comme je le disais, je n'avais pas d'outils appropriés pour me faire entendre. Ça sortait tout croche. En plus, le fait d'être une petite fille plutôt en avance sur les collègues de classe en matière de culture, de vivacité intellectuelle et de créativité n'aidait pas mon cas. Un peu lunatique, le train de pensées primesautier, le liens reliant mes idées étant parfois si éloigné et si inattendu qu'il semblait inexistant, j'étonnais et confondais le congénère moyen. Avec mes réponses émotives un peu décalées en plus, il n'en fallait pas davantage pour que je sois élue au titre peu envié de bouc émissaire d'office.

Incapable de coexister harmonieusement avec mes pairs, j'ai donc subis plutôt que vécu ma préadolescence et mon adolescence. J'avais des carnets puis des blogs remplis de fantasmes suicidaires et de considérations moroses et antisociale. Je méprisais de bien haut le conformisme de mon prochain, autant par snobisme ingénu (on y reviendra) que par dépit d'être mise à l'écart et rejetée.

Il a donc fallu que je revive mon adolescence une fois arrivée à la ville. Avec les années et les expériences déjantées de toutes sortes, j'ai fini par me réajuster quant à la plupart de mes incapacités sociales. J'ai maintenant des vrais amis, qui sont là pour moi, alors que je ne m'entourais que d'insupportables narcisse, d'égos, d'auto-mythologues. «Oh moi, Guéa! Moi, je! Moi je connais un tel! Moi je fais des choses intéressantes. Moi, je ressens des choses! Je connais des choses! Je fais des choses. Ah, Guéa, moi mon moi je ce que je fais moi je moi. Guéa? Guéa? Ne parle pas! Écoute-moi, écoute mon discours du moi, guéa! Ah Guéa, tu es là? Non, hier j'étais pas là. Mais ce soir, JE, je  DOIS te voir pour te parler, de moi, je veux te voir, pour moi. Tu es disponible, non? Guéa! Guéa! Je m'ennuie de toi. Je me trouve belle, je me trouve bonne, je veux que tu sois là pour m'entendre le dire, Guéa.»

Je me suis éloignée de ce type d'énergumènes. Ils me prenaient trop et ne redonnaient  pas assez.
Je peux aussi évoluer seule en public, maintenant, alors que de manger non accompagnée dans une cafétéria était un supplice.
Je peux flirter dans les lancements, alors que je passais toutes mes fins de soirées dans les bars à pleurer parce que je me sentais invisible aux yeux des beaux garçons qui m'enflammaient les ovaires et ne s'intéressaient qu'à mes copines.
Je peux supporter qu'on ne devine pas mes désirs et ne lisent pas dans mes pensées, alors que j'intentais des procès d'intentions aux rares personnes qui parvenaient à me supporter quand elles avaient l'outrecuidance imaginée de ne pas interagir avec moi lorsque je le désirais, sans l'avoir jamais exprimer de façon suffisamment claire, bien-sûr; de plus, je ne pouvais accepter qu'elles aient d'autres obligations, où tout simplement d'autres envies que de me changer les idées quand soudainement j'en éprouvais le besoin.
Je peux sortir de mes dépressions, alors que je sombrais des mois et des années dans un état de désespoir rendu seulement supportable par l'anesthésie mentale qui s'en suivait. Toute cette colère de petite fille qu'on n'écoutait pas se muait en une immense rage envers moi-même, que j'accumulais et tournait contre moi jusqu'à me rendre catatonique.

Mais encore aujourd'hui, j'ai de la difficulté à vivre mes émotions, surtout celles qui sont impliquées dans mon rapport à l'autre. J'ai tendance à faire le clown et à me donner en représentation, et je m'exécute assez bien maintenant pour divertir les gens présents, les constituant en audience de facto, sorte de public ad hoc. Je donne une sorte de spectacle impromptu, en interprétant mon propre rôle, un genre de mélange de calembours bancals, de monologue introspectif comique ou d'absurdités plaisantes, d'autocritique acerbe et de commentaire sur mon propre discours, en direct. Pourtant, je continue d'être une "grande timide", qualificatif qui surprend le chaland mais prend néanmoins tout son sens quand on se rappelle que je ne me permet toujours pas de vivre mes émotions ouvertement, avec sérénité. Oui, je fais le clown pour amuser la galerie, entre autre parce que je n'ai jamais pu apprendre c'était quoi, être avec les autres, quand on est une personne normale.
 À mesure que je deviens aimable, mon relatif succès en société devrait me donner confiance en moi. Mais un grand nombre d'expériences m'ont convaincue, peut-être à tort (on peut l'espérer), que ce que j'éprouve n'intéresse personne et je traîne encore le poids de cette résignation apprise. Les énergumènes, tout occupés de leur fascination pour eux-mêmes s'en contrefichaient, de ce qui pouvait m'arriver. Les professeurs de l'université, occupé à nous enduire de leur onctueux savoir en avait rien à cirer, de ma particularité. Un écrivain, qui était mon idole à l'époque, a gratifié mon admiration maladroite d'amuseur public de deux ou trois méchancetés fort bien conçue pour me blesser dans mon insécurité, ce faisant  m'humiliant publiquement. J'étais méprisée dans mon emploi à l'hôpital, où mes compétences étaient méconnues, ma personnalité abhorrée, mes originalités tournées en objet de dérision, mais ce d'une manière si ignare et si mesquine que bien que la chose m'eut blessée, je ne pouvais vraiment la prendre au sérieux, au contraire de ce que l'écrivain m'a sorti.
C'était quand même fort lucide, pour une si grosse baudruche gonflée d'alcool, de cocaïne et d'ego. Il avait visé exactement là, dans le petit pertuis que j'entrouvrais sur ma vulnérabilité. Il m'a atteint en plein dans ma tentative d'aller vers l'autre, un autre que j'admirais en plus, un fait d'armes très brave pour une petite jeune femme qui jouait toute croche son pauvre petit rôle de drôle en public, avec sa sociabilité déficitaire.
 Les connes de mon unité de soins n'auraient jamais pu voir plus loin que mes montures vertes et mon allure distraite, attributs qui ne m'empêchaient en aucun cas d'accomplir des miracles de coordination et des merveilles d'efficacités. Mais bon, à quoi s'attendre de la part d'idiotes incapables de se souvenir du numéro de leur propre poste de réception, même si elles travaillent à ce département depuis dix ans?

Ce qui nous amène donc à aujourd'hui.
Après être sortie d'une longue relation très paisible, dans laquelle j'ai véritablement pu grandir en tant que personne, après avoir osé démissionné pour poursuivre mes passions et mes envies, je me retrouve libre, en paix et amoureuse.
Et c'est très bien tout ça.
Mais je me sens encore un peu comme la petite Guéa qui, à neuf ans, se cachait pour pleurer sans qu'un son ou qu'un mouvement ne lui échappe. Mes ressentis, que j'ai si bien appris à garder enfouis, terrés au fond de moi, ne trouvent plus les canaux pour remonter à la surface. Je vis des choses que je n'ai pas pu vivre et que je ne me suis plus laissée vivre depuis des années.
Et je ne sais plus comment les vivre, malgré mon désir ardent de m'y plonger à corps perdu. Ça reste une mer souterraine...
Je suis complètement inondée d'émotions, elles pèsent de l'intérieur. Je projette plein de liquides corporels partout. Autant de pression interne, tu penserais que ça ferait popper les cernes, mais ça les creuse.

Je n'aurais jamais cru qu'être avec quelqu'un puisse autant me combler et m'épuiser à la fois.




3 commentaires:

  1. Ça c'est un querisse de beau texte. On n'a pas exactement le même vécu, mais le refoulement d'émotions, je connais. Pis ça m'a un peu beaucoup essplosée dans face cet été.

    Faque tchèque-moué bin : GUÉA! CHTAIME, GUÉA!

    (C't'un début.)

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  2. Fidèle au poste:) comme dans le bon vieux temps...et pour un sacré bout encore...je suis loin mais je suis là et je t aime ma poulpe. Prends le temps de vivre, de choisir, de ressentir et fais le pour toi, JUSTE pour toi!

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