dimanche 6 septembre 2015

La Gentrifuckation

Le texte de ma dernière chronique à Drapeau Noir. Y a des problèmes de fluidité (car cent fois sur le métier...), mais bon, y en a qui trouvent ça drôle. Fais-toi plaisir:



La gentrification

« Moi, là, moi, là, là, je ne suis plus capable. NON! Je ne suis plus capable! Et pourtant Dieu sait que j'ai tout donné pour ma communauté! Oh oui, j'ai fait tout ce que faire se peut. J'ai été constante et j'ai été là et j'ai donné l'exemple. Mais non, rendu à ce point-ci, ça suffit! C'est inacceptable. Je ne saurais tolérer davantage les vicissitudes abjectes et de ces gens indécrottables.

Après toutes les années que j'ai mises à aménager mon appartement, à aménager ma cour, à aménager ma ruelle, à aménager mes voisins, à aménager mon quartier, je jette le gant de kid et l'éponge de loofah certifié bio.
 
Tout ce lavandula hybrida grosso planté dans les saillies des trottoirs par mes soins! Cette livèche du terroir issue de semences ancestrales amoureusement semée dans les terrains vagues! Et à quoi bon, je vous le demande? Ces gens n'ont jamais eu la moindre gratitude pour tous mes soins et tous mes efforts! Bande d'ingrats! Ces déchets humains d'ostie de BS générationnels de sans-desseins ataviques s'en sont allés pisser dans mes plate-bandes et pas que métaphoriquement, oh que non, madame!

À 4 heures du matin bien soûls, hurlants et braillants, empestant le brassin médiocre tel qu'on le débite au Bar Lasalle, je les ai vus, de derrière mon rideau en cretonne directement importée de Normandie, épandre leurs mictions vineuses sur mes boutures chéries!
Et si ce n'était que de ça! Mais c'est que les offenses de toutes sortes pleuvent sans cesse sur nos pauvres épaules courbées de professionnels qui bossent dur!

À croire que le concept de propriété privé n'existe pas pour ces sauvages! Toutes les fois où j'ai dû alerter la police pour leur signaler la présence malfaisante de ces romanichels tout droit sortis de la Cour des Miracles sur mon terrain ou dans mon abri tempo ou sous mes fenêtres! Toutes les fois où leurs cris de hyènes abruties nous ont tiré du sommeil du juste, moi, mon mari, mes enfants.

Parce qu'il y a mes enfants aussi qui sont forcés de côtoyer jour après jour toutes ces torpitudes! Ah oui, y a mes enfants! Ils y pensent, à mes enfants, les dégénérés hurlant à la lune qui pourrissent la quiétude de nos nuits?

Et il faudrait que j'expose ma précieuse progéniture promise à un si brillant avenir, élevée consciencieusement dans le respect des arts, des sciences, des lois et de la culture, abreuvés au lait de chèvre éthiquement responsable, enduis de manières et de savoir-vivre, on me demanderait de les frotter à cette racaille puante qui dégueule son joual infect dans les cours des écoles, de les exposer aux seringues sales jetées avec le plus grossier manque de civisme en plein espace public, mon espace public auquel j'ai droit du droit le plus fondamental?
Il faudrait que je tolère ces femmes de mauvaise vie qui s'accouplent comme des chiennes à quelques mètres de leurs visages purs qui semblent taillés dans le marbre de Paros le plus blanc? Je devrais d'un sourire compatissant expliquer l'horreur perpétrée par ces animaux à ces êtres innocents et sans défenses? Non, mais pourquoi pas les faire marcher pieds nus dans des bouteilles de bières cassées et pleines de salive de sidéen, tant qu'à faire?
Et que dire du non-respect de nos espaces de stationnement! Les vignettes, ça a pas été inventé pour les animaux, mais à les voir aller, on se le demande!


Alors NON, je ne tolère plus, je ne compatis plus, je quitte le quartier!

Oui, vous avez bien entendu!


Je vous abandonne à votre saleté et c'est bien fait pour vous! C'est tout ce que vous méritez, de vous passer de moi et de ma famille! Vous allez voir comment ça va se passer la revitalisation d'Hochelaga, sans moi, mon mari, mon appartement, mes enfants, nos grosses jobs, notre culture, notre précieuse, précieuse implication!

Quand je pense que tout à fait bénévolement, je me promenais à des heures indues pour vaporiser d'huile de truffes noires de Sardaigne les beignes sordides des clients sordides du sordide Tim Hortons! Je m'y prenais en m’immisçant par-dessus leur épaule, vainquant mon dégoût bien naturel pour leurs effluves de crasse, profitant d'un moment de leur fuyante attention, pour rester anonyme comme seul sait l'être le vrai chrétien et pschitt! Un geste plein d'abnégation, vraiment.
On penserait que contre une telle mansuétude, un tel désintéressement, j'aurais au moins un merci?
Certes pas! Ces rustres ont eu le culot de m'insulter dans un dialecte que rendait incompréhensible leur manque de dents de junkies fumeux de roche détruits du mental!
D'autres se serait laissé décourager, mais non pas moi! Oh, que nenni!
N'écoutant que mon ardente conscience sociale, je me suis munie à mes frais de disques édifiants, comme Einstein on the Beach de Philip Glass et les Electronic Studies de Stockhausen et je les ai distribués à l'homme de la rue.
Eh bien croiriez-vous qu'on me les a jetés au visage, mes cadeaux! L'un des malotrus m'a même rétorqué fort grossièrement : « J'en veux pas de ton christ d'ostie de CD à marde! »

C'en était vraiment trop!
Si c'est ça la mixité sociale, eh bien NON MERCI!
Une vie de quartier, ça doit venir de l'effort de tous et trop de « citoyens » ici sont d'un égoïsme et d'un irrespect trop flagrant pour que nous voulions continuer à vivre parmi eux!
Adieu Hochelaga, j'aimais beaucoup tes loyers, mais y a toujours ben une limite! »

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